Il y a ce moment, en course, où le souffle se cale sur les pas, où notre foulée devient une note et la respiration un accord. Et puis un jour, on s’aperçoit que l’accord se désaccorde plus vite. Les montées brûlent davantage, les récupérations s’allongent. Est-ce l’âge ? Ou bien autre chose ?
Vieillir n’est pas un événement brutal. C’est une pente douce, parfois invisible, qui s’incline sous nos pieds. Nous y courons tous… mais pas à la même vitesse.
La montre biologique au bout des chromosomes
Au cœur de nos cellules, il existe de petites extrémités, presque des capuchons, nichées à la pointe des chromosomes : les télomères. Leur rôle ? Protéger notre patrimoine génétique comme la gaine protège le lacet. À chaque division cellulaire, ils se raccourcissent, et avec eux, un peu de notre potentiel de régénération.
La biologiste Elizabeth Blackburn et la psychologue Elissa Epel l’ont montré : ce raccourcissement n’est pas seulement une affaire d’années qui passent. C’est aussi — et surtout — une affaire de vie que l’on mène. Stress chronique, alimentation industrielle, inactivité : autant de lames invisibles qui usent nos télomères.
Mais l’inverse est vrai : l’activité physique régulière, une gestion consciente du stress, une alimentation vivante, peuvent ralentir cette érosion. Et peut-être même, dans certains cas, la réparer.
Sport et longévité : une tension créatrice
Sur les sentiers d’ultra, j’ai vu des corps jeunes s’effondrer après 50 kilomètres, et des corps de soixantenaires avancer comme s’ils marchaient sur un fil invisible.
Marco Olmo a remporté l’UTMB à 58 ans. Kilian Jornet à 21. Trente-sept ans les séparent, mais un lien les unit : la maîtrise de leurs ressources et la capacité à s’adapter.
Alors, qu’est-ce qui compte vraiment ? L’âge chronologique, celui inscrit sur votre pièce d’identité ? Ou l’âge biologique, celui qui se lit dans vos tissus, vos artères, vos mitochondries ?
La science nous répond : 94 % des facteurs de vieillissement sont modifiables. Oui, modifiables.

Trois lames invisibles
- La glycation : excès de sucres et cuisson agressive produisent des déchets qui rigidifient nos tissus.
- Le stress oxydatif : pollution, alcool, tabac, entraînement excessif produisent des radicaux libres qui abîment nos cellules.
- La sarcopénie : perte progressive de masse musculaire, amplifiée par l’inactivité et le déficit en force.
Ces trois processus avancent en silence, comme une corrosion lente. Mais ils reculent face à un mode de vie actif, varié et conscient.
La mémoire musculaire du temps
Les études (Trappe, 2012) montrent que la vitesse en marathon décline légèrement dès 30 ans, puis plus nettement après 50.
Pourquoi ? Parce que le muscle n’est pas qu’un moteur : c’est un organe de communication avec le cerveau, un régulateur métabolique, un acteur du système immunitaire. Et quand il s’amenuise, c’est toute la physiologie qui s’appauvrit.
Un programme bien dosé de renforcement musculaire — 2 séances par semaine, adaptées à l’âge et à la récupération — agit comme un vaccin contre la sarcopénie.

La course comme résistance poétique
Vieillir, ce n’est pas seulement perdre. C’est aussi gagner : en expérience, en lecture du corps, en intelligence de l’effort.
Un jeune coureur se bat souvent contre la distance. Un vétéran négocie avec elle. Dans cette négociation, il y a de la philosophie : accepter ce qui ralentit, optimiser ce qui reste, et cultiver ce qui grandit.
L’ultra devient alors une métaphore : non pas repousser la mort, mais allonger la vie au cœur de chaque instant.
Quelques conseils de longévité sportive:
Varier intensité et récupération, avec des phases de coupure dans l’année.
Intégrer chaque semaine force, aérobie, mobilité.
Prendre soin de l’assiette comme on prend soin d’un moteur.
Cultiver un mental robuste : respiration, méditation, cohérence cardiaque.
Choisir ses combats : toutes les courses ne méritent pas votre énergie.
Une leçon venue du bout du monde
À 92 ans, Harriette Thompson a terminé le marathon de San Diego. Elle a levé des fonds contre le cancer, survécu à deux d’entre eux, et vu mourir nombre de ses proches. Elle a mis plus de 7 heures à franchir la ligne. Et pourtant, à cet instant, c’est elle qui avait gagné.
Gagné contre l’abandon. Gagné contre l’idée que vieillir, c’est forcément renoncer.

Pour conclure
Nos télomères ne connaissent pas le calendrier. Ils connaissent notre style de vie. Ils ne savent pas si nous avons 30 ou 60 ans. Mais ils savent si nous avons renoncé à nous entretenir, à courir, à respirer pleinement.
Vieillir est inévitable. S’user prématurément ne l’est pas.
Et si, plutôt que de courir contre le temps, nous courions avec lui ?

Bibliographie
Blackburn, E., & Epel, E. (2017). L’effet télomère – Une approche révolutionnaire pour allonger sa vie et ralentir les effets du vieillissement. Paris : Guy Trédaniel Éditeur.
Hameed, M., Orrell, R., Cobbold, M., Goldspink, G., & Harridge, S. D. R. (2002). Sarcopenia and hypertrophy: a role for insulin-like growth factor-1 in aged muscle? Exercise and Sport Sciences Reviews, 30(1), 15-19. https://doi.org/10.1097/00003677-200201000-00004
Cuchet, G. (2017). Petite métaphysique sociale du running. Université Paris-Est Créteil.
Millet-Bartoli, F. (2006). Crise du milieu de la vie : une deuxième chance. Paris : Odile Jacob.
Trappe, S. (2012). Marathon runners: How do they age? Sports Medicine, 42(4), 367-381. https://doi.org/10.2165/11598560-000000000-00000
Allsopp, R. C., Vaziri, H., Patterson, C., Goldstein, S., Younglai, E. V., Futcher, A. B., Greider, C. W., & Harley, C. B. (1992). Telomere length predicts replicative capacity of human fibroblasts. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 89(21), 10114-10118. https://doi.org/10.1073/pnas.89.21.10114
Dieu, J. L. (n.d.). Produits de glycation avancés (AGE) : mécanismes, sources et impacts sur la santé. Sources personnelles.
Wilmore, J. H., Costill, D. L., & Kenney, W. L. (2009). Physiologie du sport et de l’exercice. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.