Le rôle oublié du ventre dans l’effort

Le ventre, longtemps perçu comme un frein dans l’ultra-endurance, révèle aujourd’hui son rôle clé : microbiote, intéroception et régulation digestive influencent directement la performance, la résilience et même l’équilibre mental du coureur.
Le 21 août 2025
Traileuse au soleil
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« L’adaptationnisme, qui veut montrer que tout est adaptatif, a des limites » — Alain Froment

Sur un ultra-trail, ce ne sont pas toujours les jambes qui lâchent, mais le ventre. Vomissements, diarrhées, douleurs abdominales : autant de symptômes qui font abandonner des coureurs, parfois parmi les favoris. Chaque année, le Grand Raid, l’UTMB ou la Diagonale des Fous en apportent la preuve.

Mais ces troubles digestifs ne sont pas nouveaux. Depuis les années 60, la recherche s’y intéresse, et aujourd’hui, un champ nouveau émerge : celui de l’intéroception, ce « sixième sens » qui nous rend conscients, viscéralement, de l’état interne de notre corps.

Historique : un mal connu depuis longtemps

En 1969 déjà, Derek Clayton, auteur du premier chrono sous 2h10 au marathon, raconte avoir terminé sa course en vomissant du sang noirâtre et en urinant des caillots. Dans les années 80, on identifie le fameux runner’s trot, symptôme bien connu des marathoniens et triathlètes. Mark Allen en est l’icône, souvent hospitalisé après ses courses.

Aujourd’hui, on estime que 30 à 65 % des coureurs d’endurance subissent des troubles gastro-intestinaux, et que 5 à 15 % des abandons en ultra sont liés à ces problèmes.

Quand le sang quitte le ventre

La physiologie nous l’explique : lors d’un effort long et intense, le sang est redirigé vers les muscles, au détriment du système digestif (vol vasculaire). Résultat : ischémie intestinale, spasmes, diarrhées.

Les facteurs aggravants sont connus : chaleur, altitude, déshydratation, stress, alimentation inadaptée. Et plus l’épreuve est longue, plus la probabilité d’un incident digestif augmente.

Mal de ventre

Microbiote et ultra-endurance : l’alliance invisible

Depuis quelques années, la recherche met en avant le rôle du microbiote intestinal. Certaines bactéries, comme Veillonella atypica, transforment le lactate produit par les muscles en énergie supplémentaire. Une diversité bactérienne riche semble aussi protéger contre l’inflammation et favoriser une meilleure tolérance digestive à l’effort.

À l’inverse, un microbiote appauvri — par le stress, une alimentation trop transformée ou la prise répétée d’AINS (anti-inflammatoires) — fragilise l’équilibre et accentue les risques.

L’intéroception : un sixième sens au cœur de la performance

Au-delà de la digestion, un champ nouveau émerge : l’intéroception, la capacité à ressentir les signaux internes de son corps (battements cardiaques, respiration, contractions intestinales).

Catherine Tallon-Baudry (Inserm/ENS/PSL) et Henry Evrard (Institut Max Planck, Tübingen) ont montré que ce « sixième sens » influence non seulement la régulation physiologique (température, rythme cardiaque, digestion), mais aussi les émotions et la perception de l’effort.

Un ultra-traileur qui développe cette conscience corporelle — en reconnaissant, par exemple, une tension digestive avant qu’elle ne dégénère — peut adapter son hydratation, sa respiration ou son allure pour éviter la rupture.

L’interoception, c’est en quelque sorte apprendre à écouter son ventre avant que celui-ci ne crie.

Conseils pratiques : ventre, cerveau et course

  • Fractionner l’hydratation : petites gorgées régulières.

  • Alterner sucré/salé pour éviter l’écœurement.

  • Tester son alimentation à l’entraînement, ne rien improviser en course.

  • Favoriser une alimentation riche en fibres, végétaux, ferments naturels pour nourrir le microbiote.

  • Éviter l’automédication (AINS, aspirine), nocive pour les reins et le système digestif.

  • Travailler son interoception : méditation, respiration consciente, exercices de scan corporel.

Conclusion : ventre et cerveau, une alliance à construire

L’ultra-endurance n’est pas qu’une affaire de muscles ou de mental. C’est aussi une affaire d’intestin, de bactéries… et de conscience corporelle.

Et si, demain, les champions d’ultra ne se distinguaient pas seulement par leur VO₂max, mais par leur capacité à écouter leur ventre et à cultiver leur microbiote ?

Référénces

  • Tallon-Baudry, C. (2018). « The neural monitoring of visceral signals and self-consciousness. » Nature Reviews Neuroscience, 19, 398–405. [DOI:10.1038/s41583-018-0004-7]

  • Evrard, H. C. (2019). « The organization of the primate insular cortex. » Frontiers in Neuroanatomy, 13:43. [DOI:10.3389/fnana.2019.00043]

  • Tsakiris, M. & De Preester, H. (eds.) (2018). The Interoceptive Mind: From Homeostasis to Awareness. Oxford University Press.

  • Mahler, K. (2016). Interoception: The Eighth Sensory System. AAPC Publishing.

  • Van der Kolk, B. (2014). The Body Keeps the Score: Brain, Mind, and Body in the Healing of Trauma. Viking.

  • Belling, N. (2018). The Mindful Body: A Guide to Embodied Mindfulness. Rockridge Press.

  • CNRS Le Journal (2020). « La méditation agit directement sur notre stress ». lien officiel

  • Université Catholique de Louvain (2019). « Signaux corporels : ressenti et mesure ». 

  • Cerveau & Psycho (2013). « Les troubles de la perception du corps ». 

Infographie sur le mal de ventre en trail
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