Que penser du bilan Français en athlétisme après ces Jeux Olympiques 2020 de Tokyo ?
Si l’on se réfère aux nombreuses réactions sur les réseaux sociaux on pourrait vite tomber, comme l’explique très bien Gérard BRONNER dans son ouvrage, dans une analyse proche de l’apocalypse cognitive (1), avec un déferlement d’informations qui entraîne une concurrence généralisée de toutes les idées et qui en capte malheureusement souvent les pires (2).
Le précieux trésor de notre attention ne pourrait-il pas avant toute être orienté à comprendre pourquoi ces résultats ?
En bref, on pourrait penser que tout va mal pour l’athlétisme Français, avec une seule médaille d’argent obtenue dans la souffrance par Kevin MAYER au décathlon.
D’un point de vue factuel ce n’est pas faux, mais on en oublie également toute les histoires personnelles des athlètes qui ont vécu au quotidien les galères, la souffrance, l’espérance.
Le lynchage médiatique est souvent rapide, facile, puisque l’on va agir sur le centre de nos émotions : on ne gagne pas la médaille et la zone de plaisir immédiat n’est donc pas atteinte !
Le plaisir étant le sentiment généré par la stimulation de la voie méso-limbique plus connue sous le nom de « système de récompense », on peut ainsi considérer que privé de chocolat l’Homme peut devenir très méchant.
Bref, on en oublie tous les sacrifices des athlètes pour se qualifier, leurs histoires personnelles, les temps et les charges énormes d’entraînement. Dans ce sens, soyons donc respectueux de leur présence dans l’arène Olympique, et prenons en compte plutôt l’extrême difficulté à pouvoir se qualifier et à réussir à gagner une médaille.
À ce niveau d’ailleurs, ne faut-il pas plutôt parler de contingence que de performance ?
L’événement sportif étant ainsi pris, non comme une performance à répliquer, mais comme une opportunité dans lequel l’athlète se doit de s’adapter.
Pierre de Coubertin l’annoncait déjà lors de son discours de Prague en 1925 : « Le vrai sportif est celui pour qui le spectateur n’existe qu’à l’état de contingence. À ce compte là, combien y a t’il de sportifs en Europe ? … Très peu »
On l’a bien vu, certains athlètes ne se sont pas adaptés à la chaleur, au décalage horaire (temps de sommeil), voir à la pression médiatique. La performance, quand bien même est-elle répétée à l’entraînement, n’en n’est pas moins complexe à réitérer dans un environnement sous pression: les émotions sont exacerbées, le climat est différent, les représentations quant au résultat escompté peuvent être biaisées.
Stéphane DIAGANA, sur le plateau de France Télévision le 8 août 2021 évoquait la fin d’une génération, et le besoin d’une nouvelle, plus jeune, plus ambitieuse.
Mais le constat n’est pas si simple, et il mérite certainement une analyse plus longue et plus approfondie de la notion de performance dans la contingence.
En effet, on valorise en premier lieu la médaille quelle que soit la couleur, en oubliant que la performance est une quête dans laquelle l’athlète se construit, grandit.
Le contexte est donc plus vaste que de la cause à l’effet.
Dans ce cadre l’accompagnement mental de l’athlète est souvent oublié, au profit d’un talent physique à exploiter
Ainsi, au-delà de juger nos athlètes, il serait plus sage de leur apporter des éléments qui pourraient permettre de mieux comprendre le rôle et l’importance des qualités mentales dans la poursuite de leurs rêves, et de faire éclore davantage leur talent (ce qu'à construit Florent MANAUDOU en natation). Et surtout de les mettre en position d’être performants dans un contexte changeant et parfois aléatoire.
Seulement la préparation mentale est souvent perçue dans l’athlétisme français comme une représentation biaisée de la psychologie, avec une perception parfois pathologique. Cela pourrait même se faire ressentir dans des propos déjà entendus sur le terrain par un entraîneur : « Nos athlètes ne sont pas malades, ils sont bien dans leur tête et ils sont capables de réaliser seuls des performances de haut niveau ».
Pourtant le mental, on l’entend partout et à toute les sauces: « c’est le mental qui fait la différence », « il a un mental d’acier », ou « il n’a pas travaillé son mental ...».
Bref, c’est le grand mot à la mode. Mais, par contre, on ne sait pas trop comment le définir.
Petit exercice simple: pour vous le mental c’est quoi ?
Posez-vous en quelques minutes la question en profondeur et quelles sont les pistes sur lesquelles vous pouriez le travailler ?
Pas si facile …
Bref, on en parle mais on ne sait pas trop comment l’utiliser.
Nos compatriotes sportifs américains sont quelque peu plus avancés sur ce point. Dès leur plus jeune âge et à l’école, ils sont déjà initiés à l’accompagnement mental.
Car l’accompagnement mental est très riche et regroupe divers secteurs d’explorations qui peuvent naviguer d’une approche philosophique sur les vertus, à la compréhension des neurosciences sur nos actions, voire du positionnement au sein d’un groupe compétitif (rivalité mimétique). Le champ est très vaste.
L’adaptation individuelle (dans notre ipséité) est aussi une piste plus qu’interessante dans un contexte de réchauffement climatique de plus en plus présent sur le devenir de la performance sportive de haut niveau.
Ainsi accepter de changer certaines de nos habitudes, de comprendre les différences entre acclimatement et acclimatation, et de percevoir que notre corps peut réagir différemment dans une apocalypse cognitive de plus en plus présente (avec beaucoup d’informations à traiter, notamment des « fakes news ») sont des éléments nécessaires à la construction de la performance.
Comme le souligne si joliment François DUCASSE dans son ouvrage sur l’accompagnement mental (3) « il n’est pas question d’idéaliser les champions ni de nier certains excès du sport moderne, mais au contraire de montrer sous son vrai jour l’univers difficile des gagneurs, dont le code d’honneur semble avoir disparu et dont la philosophie se limite souvent à la gagne à tous prix ».
Au-delà de son seul aspect de la performance, il semble que redonner du sens à notre sport qu’est l’athlétisme est une piste plus qu’intéressante, notamment par celles en premier lieu des valeurs.
Car le « mental » auquel les athlètes attribuent victoires et défaites a dépassé les frontières du sport, celui-ci servant de miroir à une société de plus en plus individualiste, obsédée par la performance et tournée vers la quête parfois exclusive du soi.
Pour être mentalement un champion, il faut donc savoir allier l’art et la manière, la combativité et le « fair-play ». L’objectif étant certes d’apprendre à gagner, mais aussi à pratiquer sa discipline dans l’amour du combat qu’il promeut contre soi-même.
Eric Lacroix, Accompagnant mental diplômé (Certificat CP/FFP), août 2021
(1) Gérard BRONNER, « Apocalypse cognitive », PUF, 2021
(2) Jamais nous n’avons disposé autant d’informations et jamais nous n’avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. Sauf que notre « temps de cerveau » s’oriente plutôt à capter souvent le pire de notre attention. En résumé quelles que soient ses formes, la conflictualité nous intéresse, nous sommes attirés par elle.
(3) François DUCASSE, « Champion dans la tête », Les éditions de l’Homme, 2016
Bonjour,
depuis trente ans je vis surtout à l'étranger, tout particulièrement en Afrique. Ces différentes analyses, sur les conditions d'entraînement (et de motivation!) des athlètes, suscitent à chaque fois la même réaction: tant que les performances réalisées viendront d'athlètes très favorisés et d'autres très défavorisés, il est presque vain, voire fallacieux, d'en tirer des conclusions générales, péremptoires. Je songe, par exemple, au décathlon, discipline accessible à quels athlètes de quels pays? Pareillement, le saut à la perche, discipline elle aussi offerte à une "élite" seulement, d'athlètes favorisés. A l'opposé, le marathon: TOUS les coureurs peuvent en rêver, mais... Si c'est en vue de réaliser les meilleures performances, il est bon de distinguer. Primo, il y a ceux et celles qu…