On espère tous que nous allons sortir de cette période de crise sanitaire, et pouvoir rejoindre les terrains d'entraînement pour se projeter sur des objectifs sportifs ambitieux à nos yeux. Des objectifs qui puissent nous pousser aussi à grandir et à s'occuper de notre santé.
En attendant, il est nécessaire d'anticiper et donc de comprendre qu'il n'existe pas de méthode type pour progresser, ni de dogme, mais juste un certain bon sens.
Notamment une meilleure compréhension des diverses sollicitations que notre organisme subit lorsque nous lui infligeons des charges d'entraînement, et que ces sollicitations ne sont pas uniquement physiologiques.
Ainsi et selon António Damásio (1) , il est tout à fait possible et nécessaire de s’émerveiller de la mécanique de notre corps et de notre esprit rendant possible la symphonie dont, à chaque instant de notre vie, nous sommes le chef d’orchestre.
Car "notre conscience et le soi ne sont pas une "chose", une "substance", une "entité" en nous, comme on l’a longtemps postulé. Bien au contraire, ils forment un ensemble dynamique de processus nés petit à petit au fil de l’évolution biologique."
Réfléchir à son entraînement, et prendre un certain recul réflexif
C'est pourquoi nos entraînements en course à pied ne devraient pas être appliquées de manière mathématique en annonçant :"je vais réaliser telle séance qui va automatiquement m'apporter tel résultat !".
Le processus est bien plus complexe, d'autant plus que chaque athlète est différent, ayant un héritage génétique et mémétique très personnel (si l'on fait référence à Joël de Rosnay).
La réussite de son projet d'entraînement passe donc dans la confiance et la détermination que l’on y met pour optimiser son potentiel de performance individuel qu'il soit physique, tactique, mental.
Bref, pour y parvenir l’équation est complexe mais finalement possible.
Pour cela il est nécessaire d’avoir conscience des divers contours de l’objectif, et notamment d’arriver avec un minimum de fraîcheur mentale.
Prenons l'exemple d'une distance assez longue qu'une personne n'est pas habituée à courir, comme un marathon ou un trail de 70 km. Le challenge n'est pas tant de courir une distance que certains abordent comme une routine, mais bien de pouvoir découvrir cette distance pour certains ou la réaliser plus rapidement pour d'autres.
Ainsi ce n’est pas tant la fatigue physique qui importe le plus mais bien la charge mentale, et donc la réserve émotionnelle, que l’on pourra soutenir sur la deuxième partie de course qui s'avère capitale.
C'est ce que l'on nomme aussi la gestion de course, ou bien le "pacing" de course en trail (2), celle qui permet d'appuyer- ou modérer- sur l'accélérateur (comme une voiture) pour gérer son capital énergétique en fonction de la distance à réaliser.
L’entraînement en course à pied n’est pas qu’un agrégat d’effets physiologiques.
Le cerveau tient également une part importante dans la performance finale, et la planification de l’entraînement devrait être envisagée comme une "éducation mentale".
Ainsi de la même manière que l’entraînement est planifié afin d’améliorer la résistance à un stress physiologique plus important, il devrait l’être également afin qu’une charge affective plus importante puisse être acceptée par le sportif.
Les mêmes grands principes généraux de progressivité, de régularité et d’alternance de charge utilisés afin d’améliorer les réponses physiologiques, peuvent ainsi être préconisés pour augmenter la tolérance à une charge affective importante et ainsi espérer une performance optimale.
Faire un état des lieux
La planification est, en quelque sorte, le fait d’arriver en forme le jour J. Logique non ?
Mais cette planification est aussi une véritable préparation mentale, celle qui permet de se motiver chaque jour, sans abuser des compétitions (bien qu'un peu difficile en ce moment !) ou des challenges sur Strava...
Elle permet aussi de se donner des plages de régénération (différentes de la récupération qui ne fait appel qu’au versant physiologique).
Pour bien adapter ses entraînements et sa pratique avant une compétition par exemple, l'étape préalable est de savoir où l'on en est.
C'est ce l’on peut nommer « l'état des lieux » :
• Est-ce que j'ai pu m'entraîner correctement et accumuler du volume, une bonne in-tensité - et du dénivelé- suffisant pour m’aligner sur cette épreuve ?
• Inversement, est-ce que je suis moins motivé, trop occupé, trop fatigué, ou me suis-je blessé ?
En fonction de mon niveau d'entraînement et de confiance les données de l'équation changent. Hormis chercher à rattraper un quelconque retard, ce qui est par définition impossible, rien n'est donc complètement proscrit.
Nous sommes prêt à partir du moment où l'on a habitué notre organisme à la fatigue sur le plan physique comme mental. Et cela n'implique pas forcément de faire des sorties longues tous les week-ends. Le cumul des petits entraînement réguliers ajouté à une pratique croisée (marche, vélo) un peu plus longue de temps en temps peut suffire.
Plus que la durée et la distance, c'est donc l'intensité de l'effort qu'il convient de gérer, comme par exemple le denier mois d’une compétition majeure, pour éviter d'accumuler de la fatigue.
Stimuler plutôt que fatiguer, et rechercher la fraîcheur mentale
Stimuler en allant se promener en montagne ou en nature toute une journée en famille, ou par un footing dynamique d'une heure, à chacun de trouver son bonheur. Car la fraîcheur physique est un facteur important pour aller le plus loin possible avec de bonnes sensations.
Seulement, et on n'y échappe pas, il y a un moment donné où le physique décline . C'est alors que le coureur n'a d'autre choix que de faire appel à ses ressources mentales. Des ressources travaillées à l'entraînement et liées à la dose de confiance emmagasinée, mais également dépendantes du niveau de fraîcheur et de sa fatigue. Le Running n'est pas non plus l'école du "no pain no gain" !
C'est plutôt la subtilité du compromis. Il existe la récupération, comme aspect physique, et la régénération, comme processus général directement lié au mental. Il faut donc y inclure la notion de fatigue dans l'entraînement et veiller, à l'approche de l'événement, à garder l'envie intacte.
Ainsi et par exemple la dernière quinzaine avant une grande échéance, un défi, un test, est le moment où plus que jamais il faut s'écouter. La préparation est bouclée, il convient simplement de l'optimiser.
Pour notre projet sportif "s'entraîner au ressenti -manger correctement - se reposer", le triptyque reste le même, on attache seulement un peu plus d'importance aux détails de ses ressentis sans pour autant changer radicalement de mode de vie.
Évaluer les ressentis de l’entraînement par la charge affective et y trouver du plaisir
Tenter de mesurer la charge affective pour essayer de comprendre pourquoi certains coureurs vont stopper leur effort alors même qu’ils n’ont pas atteint leur limite physiologique est une piste de recherche dans les sports d’endurance, notamment par l'Université de Besançon (Bertrand Baron, Alain Groslambert, Fred Grappe).
En effet cet indice prend en compte non seulement la perception de l’effort mais aussi le plaisir.
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Ainsi, il a été démontré que le plaisir jouait un rôle fondamental dans la performance, et ce modèle est d’autant plus intéressant qu’il intègre le versant de la motivation comme étant le niveau d’acceptation de la charge affective.
En prenant en compte le modèle du gouverneur central préconisé par le chercheur sud-africain Tim Noakes, l’innovation est de mettre davantage le facteur émotionnel en avant :
« La fatigue doit être principalement considérée comme une émotion, constituant un système complexe de régulation dont l’objectif est de protéger l’organisme.
Ainsi c’est en régulant son niveau émotionnel et son niveau d’investissement que l’on régule son niveau de réserve énergétique ».
Que ce soit dans l’entraînement ou au cours d’une compétition, on peut donc éprouver un conflit interne dans lequel on doit choisir l’intensité de notre effort en fonction d’une charge affective.
Pour cela il faut choisir entre : • Consommer suffisamment d’énergie pour être performant, • Ou consommer suffisamment d’énergie pour être certain d’aller au bout (qui est différent de vouloir être performant).
C’est donc un véritable dilemme qui s’offre à nous et qui va être le garant dans la réussite, ou non, de notre performance selon nos forces ou faiblesses psychologiques. À partir de ce constat il est tout à fait possible de construire un questionnaire de niveau d’acceptation émotionnelle, sorte de grille de ressenti RPE de Borg (Rating of Perceived Exertion), permettant de détecter une éventuelle grosse fatigue de l’organisme à l’entraînement (qu’on appelle aussi surcharge non fonctionnelle).
En effet nous seuls pouvons juger de notre état de forme et donc juger l’envie de s’entraîner ou non, du plaisir qu’on éprouve ou que l’on va éprouver.
Ce questionnaire pose ainsi quelques interrogations essentielles : • À quel point ai-je envie d’arrêter du fait de la souffrance ? • À quel point je ressens la nécessité d’arrêter ou de ralentir ? • À quel point j’ai envie de continuer pour atteindre l’objectif ? À l’aide d’une échelle de 1 à 10 (de 0 = pas du tout à 10 = maximal), il est intéressant de construire une véritable stratégie de régulation émotionnelle en se posant des questions essentielles : • Comment je perçois l’effort et le plaisir ? • À quel point je ressens la nécessite d’arrêter, de ralentir ou bien l’envie de continuer pour atteindre mon objectif ? Grâce à cet outil, il est non seulement possible de percevoir un profil psychologique et de trouver les pistes pour y remédier par une préparation mentale. Mais cet outil sert en priorité de contrôle des effets de la charge d’entraînement en permettant de déceler une éventuelle lassitude (pouvant elle-même entraîner le fameux burn out du coureur à pied).
Les grilles de ressentis d’effort (RE)
Afin d’évaluer ses progrès mais aussi de mesurer les effets de son entraînement, il est difficile de parler uniquement de vitesse de course ou de VMA. En effet, de la bouche de la majorité des pratiquants, il est nécessaire de trouver du plaisir à s’entraîner. Il est donc primordial de sortir du contexte de la piste ou des parcours « hyper-mesurés ».
Le travail au ressenti d’effort (RE) et à la fréquence cardiaque peut ainsi être une voie de progrès intéressante pour individualiser davantage son entraînement. Une échelle de ressenti d’effort permet en quelque sorte de déceler les sensations du jour et donc d’individualiser plus précisément les effets recherchés dans l’entraînement. En effet, l’état de forme (et son ressenti) à un fort impact dans les sessions d’entraînement.
Il existe certains jours ou tout va très bien et d’autres plus compliqués.
Ainsi, après une journée de travail difficile, du stress ou une situation émotionnelle forte, nous sommes moins à l’aise physiquement. L’échelle de ressenti d’effort (RE) peut donc être modifiée à la hausse.
Inversement, certaines séances se déroulent dans une zone d’euphorie (sorte de flow) ; moment magique où tout va pour le mieux et où tout est synchronisé dans l’effort (la respiration, la fréquence cardiaque, le dynamisme musculaire). Nous avons la sensation de « voler et d’être très facile », et donc notre ressenti d’effort est meilleur et à un niveau moins élevé.
L’objectif est donc de pouvoir appliquer la méthode de la perception du ressenti d’effort (RE) sur une échelle de 1 à 10 en étant capable de s’auto-évaluer dans l’entraînement avec l’état de forme du jour . Ce qui nous sera bien sûr utile en compétition face aux aléas et aux éléments naturels.
Savoir mesurer son ressenti d'effort
La mesure du Ressenti d’Effort (RE) est une excellente alternative à toutes les méthodes qui nous paraissent difficiles à appliquer sur des séances et des sorties en nature nécessaires à l’entraînement du trail (pourcentages de VMA, mesure des lactates, etc…).
Cette mesure va surtout permettre de nous situer sur une échelle de niveau d’effort à fournir lors de séances d’intensité mais aussi d’endurance. Dans ce sens on peut s’habituer à mieux gérer et à doser notre effort. Cet indicateur doit nous permettre : - Tout d’abord de réguler notre effort au cours de la séance. Ainsi un effort de 8 sur 10 n’a pas le même impact que celui de 10 sur 10 qui lui est maximal ; - Ensuite de pouvoir contrôler en quelque sorte notre progression en décelant éventuellement des signes de fatigue, voire de surcharge dans l’entraînement, notamment si l’on est toujours dans des échelles hautes ; - Enfin de s’habitue à se donner une échelle de ressenti d’effort transférable en compétition, pour une meilleure gestion de son allure. Sachez cependant que les aspects psychologiques influencent fortement la valeur du RE. Ainsi certains coureurs ont tendance à sous-estimer l'effort (la mauvaise tolérance à l'effort étant perçu comme une faiblesse), quand d'autres le surestiment (pour susciter la compassion).
Cette mesure demande donc un temps d’apprentissage assez long afin d’apprivoiser cet outil, et surtout de se l’approprier. Notre corps est certes capable de grandes choses mais il est avant tout nécessaire de pouvoir le mobiliser et de convaincre notre esprit.
C’est une sorte de méditation qu’il faut aussi éduquer lors des séances pour que cela devienne une routine durant la compétition.
(1) António Damásio est médecin, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie, directeur de l'Institut pour l'étude neurologique de l'émotion et de la créativité de l'université de la Californie méridionale, auteur notamment de L'Erreur de Descartes, et de L'Autre Moi-Même - L’erreur de Descartes (1995) ; Le sentiment même de soi (1999) ; Spinoza avait raison (2003).
Dans son premier livre qui l’a fait connaître au grand public, intitulé « l’erreur de Descartes », António Damásio traite du rôle de l’émotion et du sentiment dans la prise de décision, en faisant référence à la théorie fonctionnaliste de W. James.
Son deuxième livre, « le sentiment même de soi », nous éclaire sur le rôle des émotions et des sentiments dans la construction du soi.
Enfin, dans son dernier ouvrage, « Spinoza avait raison », l’auteur concentre son propos sur les sentiments eux-mêmes ; il s’efforce de les définir et d’expliquer leur contribution à l’expérience humaine.
(2) Pour bien comprendre le pacing, on peut comparer le coureur à une voiture. Si le conducteur passe son temps à accélérer et à freiner, la consommation de carburant sera nettement plus élevée que s’il conduit à vitesse stable et raisonnable.
Références
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