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Photo du rédacteurEric Lacroix

Les Don Quichotte du Trail ?

Dernière mise à jour : 1 mars 2021



Au-delà d’une certaine recherche du mieux être et de sa santé, la volonté de Running Renaissance est de faire se questionner les acteurs de la course à pied hors stade sur le devenir de ses pratiques.


C’est pourquoi nous initions une vaste réflexion sur ce sujet, afin de déambuler de manière consciente entre la carte et le territoire de notre pratique du running.


Trail Fiction : "Arrête toi si tu peux !"

Notre conscience se donne à voir une myriade de significations subjectives, et c’est tout à fait normal. Car ces significations sont le fruit de notre interprétation du monde de la course à pied et de nous-mêmes, des significations auxquelles nous croyons et revendiquons avec plus ou moins de force.


Comme par exemple celle d’une pratique en Trail qui serait plus écologique et donc militante, mais parfois contradictoire avec la consommation de matériels, d’aliments énergétiques et de voyages sur des compétitions.


On pourrait appeler cette nouvelle pratique le « Trail fiction », non pour signifier que cette pratique soit inexacte mais pour souligner une raison d’être qui puisse faire sens à nos yeux. De nous satisfaire en quelque sorte de renouer avec le sens originel de notre pratique.

En effet si nous continuons à vivre sur le modèle purement économique et consumériste, toujours plus vite, toujours plus au-dessus de nos moyens, les ressources naturelles de la Terre seront complètement épuisées dans un siècle. L’élévation du niveau des océans oscillera entre 1 et 7 mètres (voir plus) et entraînera des déplacements gigantesques de population, des épidémies fulgurantes. Sans compter qu’environ un million d’espèces animales seront menacées d’extinction. Nous vivons désormais à crédit sur notre planète.


Dans ce contexte ou nous sommes placés face à une échéance fatale, et sans faire de catastrophisme, certaines minorités deviennent plus revendicatives.


C’est le cas de la grande famille du Trail qui revendique une civilisation moins individualiste et moins consumériste.


Récemment donc, certains grands champions en Trail comme Kilian Jornet, ou Xavier Thevenard souhaitent éveiller les consciences collectives. Et ils prennent pour cela des décisions très fortes comme celles de réduire leurs voyages aériens afin de diminuer leur bilan carbone.


Et ils vont même au-delà, car en tant qu’ambassadeurs d’un mouvement éco-responsable en Trail, ils souhaitent créer des outils et des interfaces pour rassembler les acteurs en lançant un véritable « appel à l’action » comme par exemple :

  • La charte Outdoor Friendly : Cette charte a pour but de promouvoir une pratique plus durable des sports de plein air, en se concentrant sur l'impact de ses différents acteurs. Ces objectifs visent notamment la pollution générée par les sports de plein air, les gaz à effet de serre émis, une meilleure gestion des ressources naturelles, la préservation des terres et de la biodiversité, et le plaidoyer pour une société plus durable.

  • La fondation Kilian Jornet : la mission de cette fondation est la préservation de la montagne et de son environnement.

Comme le cite le magazine Outside : « En prenant part à la fondation de Kilian Jornet, Xavier Thévenard et les autres acteurs du milieu – athlètes, marques, organisateurs d’événements et dirigeants des fédérations – espèrent sensibiliser le public sur les nouvelles pratiques des sports de plein air. Pour y parvenir, les membres de la Fondation ont élaboré une charte, et une liste de conseils à suivre pour réduire son impact sur l’environnement lorsque l’on pratique un sport en montagne. » 

“Puisqu’on est tous foutus, soyons frères."

Cette phrase d’Edgar Morin résume parfaitement la situation à laquelle nous devons réfléchir, car elle met en évidence notre absolu devoir de solidarité planétaire.


Cependant les mouvements écologiques ont tendance à être perçus par certains comme moralisateurs, catastrophiques.


En effet, il est difficile d’éprouver une angoisse existentielle face à la perspective de son propre anéantissement. C’est pourquoi et comme dernier recours l’homme se réfugie dans son confort personnel ou dans son groupe d’appartenance.


C’est en partie les résultats d’une thèse effectuée par Stan Streger en 2015 (de l’Université de Chicago) qui explique que confrontés à l’éventualité de la fin du monde, certains comportements deviennent compensatoires comme l’hyperconsommation, l’inflation de l’ego, le déni.


Il cite : « Pour surmonter cette anxiété, les personnes se tournent vers leur vision culturelle du monde pour renforcer leur estime de soi et apaiser la crise existentielle évoquée par la pensée de la mort. Bien que la théorie de la gestion de la terreur ait reçu un nombre impressionnant de soutiens empiriques depuis son introduction, elle a laissé une question particulière et importante sans réponse : pourquoi les humains craignent-ils la mort ? La théorie de la gestion de la terreur suppose simplement que les humains le font. L'une des raisons possibles de cette peur reflète le besoin humain d’appartenance ».


À l’extrême de ce sentiment d’appartenance existent les tenants de « l’effondrement », ou du « collapse », qui ont déjà leur nom, les collapsologues, dits plus familièrement les « collapsos » (1).


Il existe aussi le mouvement des « survivalistes », ceux qui anticipent une catastrophe totale imminente. Et qui pour s’y préparer, ont recours à des techniques qui vont consister essentiellement à se plonger en pleine nature, en essayant d’apprendre à survivre en dehors du confort, en dehors du monde urbain, et en se basant sur un mode de partage et de solidarité (mais en milieu très fermé).


Enfin restent ceux que l’on nomme les « espérantistes » qui, bien que parfaitement conscients des grands bouleversements à venir, conscients que leurs enfants et petits enfants vont certainement être privés d’eau et d’oxygène, espèrent néanmoins dans des actions rapides à venir pour contenir les impacts et tentent d’agir, à la mesure de leurs compétences et de leurs possibilités très diverses.


C’est le cas de la petite famille du Trail éco-responsable, mouvement courageux car bien qu’il soit rempli d’espérance il est aussi contradictoire.

Faut-il en effet faire preuve d’auto-flagellation pour montrer l’exemple, se priver de voyages et donc de grands événements compétitifs, alors qu’une partie de la planète, décomplexée, va continuer à consommer, en jetant par dessus bord tout soucis de responsabilité vis-à-vis de l’avenir ?


Les Don Quichotte du Trail ?

Face à cette situation et au réchauffement climatique, on observe aujourd’hui plusieurs réactions. Certaines d’entre elles sont « le déni, l’évitement, le refus de savoir, le désir d’ignorance » (Fred Vargass).


Ce déni, on l’a vu, permet instinctivement à notre psychisme de se protéger de l’angoisse que génère cet avenir si menaçant. 


Mais d’autres acteurs souhaitent se mobiliser, et combattre un destin fatal.

À l’image d’un Don Quichotte qui s’invente un titre, une identité, et un monde rempli de dangers propice à sa quête, nos ambassadeurs du Trail sont dotés de hautes qualités guerrières et morales. Ils les ont forgées en se préparant à ce rôle dès leur plus jeune âge, naissant au sein même de la nature, dans un gîte ou sur des skis. À cet égard, ils sont sincères et convaincants.


Mais, n’est-il pas vain de combattre certains moulins ?


Xavier a profité de ces derniers mois de crise sanitaire pour initier un changement radical dans sa vie, celui de cesser de prendre l’avion. C’est très courageux pour quelqu’un qui adore partager sa passion, et se mesurer ainsi aux meilleurs athlètes mondiaux


Ne se prive t-il pas ainsi de certaines possibilités d’assouvir pleinement sa passion, alors que cet impact pourrait être minime si il était juste modéré ?


Une vraie question de fond, qui pourrait priver de confrontations certain-es de nos meilleurs athlètes, et même pousser à la culpabilité une niche du Trail déjà bien consciente de ces valeurs eco-responsables ; alors qu’une majorité de personnes dans le monde pourrait continuer à consommer de l’aérien.


En effet, les projections sur l’évolution de secteur aérien anticipent un doublement du trafic mondial d’ici 2036. Pire même, le gouvernement centralisé de Pékin a récemment annoncé son intention de construire 200 aéroports en quinze ans (commémoration du 70ème anniversaire de la République populaire - 2019).

Le syndrome de la goutte d’eau

Il s’agit ici d’un mécanisme de "déresponsabilisation individuelle" redoutable, puisqu’il consiste à considérer que nos efforts seraient dérisoires et inutiles par rapport aux véritables pollueurs.


A l’échelle de la planète, des pays tels que la Chine et les Etats-Unis plutôt que la France ; à l’échelle nationale, l’industrie, l’agriculture ou les transports plutôt que l’individu.


Selon Brice Teinturier, Politologue : "Le syndrome de la goutte d’eau justifie soit que l’on ne fasse rien, soit que l’on fasse peu en trouvant des compromis. Il met donc à l’épreuve l’articulation des logiques collectives et individuelles et la capacité des individus à imposer un changement de société (le tout) plutôt qu’à rechercher ou imposer une somme laborieuse de comportements individuels vertueux (les parties). Mais ce raisonnement a aussi sa propre perversité, puisqu’il justifie de ne rien changer individuellement tant qu’on n’a pas tout changé collectivement !"

Les réductions de vols de nos champions pour diminuer l’empreinte carbone sont donc des mesures bien minces face aux gigantesques constructions qui se dessinent et de la croissance promise par ce marché. Mais elles restent symboliques et importantes, car comme le souligne Xavier Thevenard, "c'est aux sportifs d'afficher leurs convictions."

Il faut, selon lui, que les sportifs donnent l’exemple sur ce sujet de l’écologie : "Il faut se regrouper, ce qu’on essaye de faire dans le trail pour justement arriver à limiter ces déplacements. Il faut faire en sorte qu’il n’y ait qu’une seule course au même moment et qu’on ne soit pas éparpillés sur l’ensemble du globe."


Un premier pas même si il sait que ce n’est pas aux seuls athlètes de prendre les choses en main et qu’il faut des choix politiques forts des gouvernements.


Car c’est aujourd’hui toute la société qui dispose du pouvoir de réduire le niveau d’incertitude et de compétition entre les êtres humains, et d’instaurer un climat de confiance qui permette à chacun d’inscrire son histoire et ses projets dans la durée. Tout cela bien sûr en accord avec ses valeurs personnelles et sans craindre à tout moment d’être fragilisé ou marginalisé.


Selon Nicolas Santolaria (2), il faut partir de la base, utiliser les réseaux sociaux pour diffuser des normes sociales positives, exercer une influence douce, une forme de « nudging » climatique : "Si des personnes que j’admire changent leur attitude, prennent les transports en commun, mangent végétarien, investissent dans les panneaux solaires, alors cela deviendra une nouvelle manière d’être. Lorsque les comportements auront changé, les dirigeants suivront."


Nous avons en main le programme: détruire la planète en nous rendant malheureux, ou tenir compte du fonctionnement de notre cerveau en l’éveillant pour vivre de manière plus épanouie et préserver ce qui nous reste de notre nature.

Ce n’est plus de la fiction, mais bien du réel.


(1) C’est en 2015, avec la publication du livre « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes », que Pablo Servigne et Raphaël Stevens inventent ce mot et cette notion de « collapsologie ». Ils étudient et documentent cet effondrement global qui est censé venir, mais pensent qu’il est encore possible de l’amoindrir. Et on ne peut, si rien n’est fait, nier l’éventualité d’un tel effondrement.

(2) Nicolas Santolaria, « A force de voir des catastrophes, l’esprit s’habitue », Article Le Monde, 2018.


Références

Fred VARGAS « L'Humanité en péril. », 2019

Sébastien BOHLER, Le bug humain, Robert Laffont, 2019

Sébastien BOHLER, Où est le sens, Robert Laffont, 2020

Edgard MORIN, L’entrée dans l'ère écologique, MIKROS, 2020

Edgar MORIN et Nicolas HULOT, L'an I de l'ère écologique : La Terre dépend de l'homme qui dépend de la Terre, 2007

Edgar MORIN, Ecologiser l'homme : La nature du futur et le futur de la nature, 2016


Lien web écologique : https://cacommenceparmoi.org



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