Il est admis que pour progresser en course à pied, il est nécessaire de travailler l’intensité de course, et notamment dans le mode polarisé pour 20% de la charge d'entraînement.
En compétition en effet on assiste parfois à des départs rapides, et il faut désormais pouvoir tenir le rythme imposé tout au long du parcours.
D’où l’importance du travail dit de "fractionné".
Cela peut permettre de pouvoir accélérer au bon moment, de ne pas être exposé aux barrières horaires, voire de gagner une course pour les meilleurs.
Nous vous en présentons ici une nouvelle forme née en 2014 à La Réunion, baptisée le « Jerk ». Explications...
Les séances qui travaillent la haute intensité sont souvent transposées par rapport à certains modèles anciens ou réalisées parce que «tout le monde fait comme cela».
La réflexion par rapport à l’essence même des qualités pédestres à haute intensité qu’il faut posséder est souvent approximative et nous sommes parfois surpris de l’ignorance de l’impact des charges de travail dans certaines séances de développement de la composante de la consommation maximale d’oxygène (V02max).
Voilà pourquoi, dans cet article, nous souhaitons explorer de nouvelles voies possibles de l’entraînement «fractionné», et notamment certains principes qui utilisent aussi bien l’accélération que la prise en compte des phases de récupération, éléments bien souvent oubliés lors de nos entraînements intensifs. Lorsque l’on observe la plupart des coureurs de running effectuer une séance de type «fractionné» sur la piste, le constat est parfois étonnant, voire surprenant.
La tendance est souvent la même et on constate globalement :
un choix de distance en mode fractionné assez court (du 30’’/30’’ ou des 200m) avec une vitesse d’exécution bien souvent trop rapide, et au-delà du potentiel de départ d’évaluation de la vitesse maximale aérobie (VMA),
un arrêt souvent brutal à la fin des répétitions, et donc des récupérations souvent très passives, voire des temps d’arrêt ou de marche lente en fin d’effort,
une tendance à vouloir faire ces séances exclusivement sur piste, comme pour contrôler sans arrêt le chronomètre, sans recherche de travail aux sensations ou au ressenti,
enfin une séance bien souvent effectuée avec des chaussures de trail ou des modèles lourds, sans recherche du style de course.
Le travail visé, c’est-à-dire celui de développement de la consommation maximale d’oxygène (V02max) est donc mal ciblé, et les allures très soutenues et les phases de récupération qui les suivent vous indiquent que le travail effectué est très limité en matière de temps de maintien dans cette zone.
Le résultat final génère plutôt une grande fatigue liée à des allures de course bien trop rapides et un travail sur le style de course plutôt négligé.
Plus en détail et si l’on regarde la courbe des fréquences cardiaques (Fc) comme indicateurs sur une séance de fractionné classique, on observe un profil «en dents de scie» très prononcé. Le coeur monte assez haut avec une petite dérive cardiaque au niveau des temps d’effort, mais les récupérations passives font chuter la moyenne totale des fréquences cardiaques. Cela favorise la filière lactique, avec une montée en lactates élevée souvent mal assimilée et génératrices de blessures, ou d'entraînement intensif inadapté.
Que veut-on développer pour la course à pied ?
Si l’on veut argumenter nos propos précédents, il nous paraît essentiel de trouver du sens à nos séances de fractionnés en mode intensité. En effet, que veut-on obtenir au final ?
Si vous ne courez pas d’épreuves sur piste, et donc que vous ne cherchez pas vraiment une très grande vitesse d’exécution, pas besoin de travailler sa VMA à fond !
Par contre, il semble essentiel de pouvoir tenir une allure assez élevée plus longtemps.
En fait les effets de l’entraînement sont surtout dépendants de l’intensité de l’exercice «mesurée en pourcentage de la fréquence cardiaque maximale (Fcmax) ou de V02max, de sa durée et de sa modalité d’organisation selon que la séance est organisée sous forme continue ou d’alternance de temps d’effort et de temps de récupération (interval-training)» (Millet Gr., Schmitt L., 2013).
Pour cela nous souhaitons en priorité accroître la charge d’entraînement afin de maintenir plus longtemps une intensité haute et permettre d’améliorer non seulement le temps de soutien mais aussi de décaler les seuils grâce à des adaptations physiologiques.
En ce sens, plusieurs composantes nous intéressent comme :
Travailler diverses variations d’allure afin de s’adapter aux changements de rythme dans la course,
Maintenir une qualité de course grâce à des récupérations actives, voire progressives ou pincées (notion de temps de maintien dans l’effort),
Apprendre à rester concentré et lucide dans l’effort,
Prendre du plaisir à s’entraîner, avec des séances plutôt ludiques en nature ou sur piste.
Explications scientifiques Dans ce cadre nous nous sommes appuyés en premier lieu sur les travaux scientifiques de Véronique Billat dans son ouvrage «VO2max à l’épreuve du temps» (Éd. De Boeck, 2013 ).
Elle nous démontre comment, autour de divers jeux de variations de vitesses ou de puissance, il est possible de repousser le temps de soutien à VO2max mais aussi de dépasser sa valeur de référence pendant l’effort.
Pour résumer elle nous explique qu’en modulant l’allure, lorsque le VO2max est atteinte, il est possible de repousser le temps limite. Ainsi par un jeu d’accélérations et de décélérations successives pour récupérer (d’où la notion de «jerk»), il est possible de développer VO2max beaucoup plus longtemps.
L’explication scientifique repose sur le postulat qu’au-delà du jeu de rotation autour de l’axe du temps d’effort, il existe en quelque sorte un système d’emboîtement de cubes physiologiques. Chaque cube étant «un espace physiologique tridimensionnel, matrice de la relation entre V02max et ses facteurs limitants» que sont la force musculaire, la fréquence cardiaque, la tolérance à l’acidose, la ventilation et enfin la néoglucogenèse (ou la synthèse du glucose à partir de précurseurs non glucidiques).
L’enjeu de cette séance est de pouvoir se jouer de toutes ces limites afin de rechercher les substrats nécessaires à l’effort à fournir à haute intensité en variant les accélérations/décélérations de vitesse pendant la séance, et ainsi de pouvoir atteindre, voire dépasser VO2max.
Notamment en comprenant un peu mieux les effets du lactate sanguin qui n’est pas un «poison» comme on peut encore l’entendre dire mais un substrat possible : «le muscle est un moteur hybride qui choisit en permanence le carburant qui convient le mieux à ses besoins pour faire face aux contraintes imposées par l’exercice» (D. Reiss, P. Prevost, 2013).
En fait l’hypoxie n’est pas une condition nécessaire pour que le muscle produise du lactate : la production de lactate se fait en continu dans vos muscles, et ce dès les vitesses les plus faibles et il augmente de façon quasi linéaire à mesure que la vitesse monte, tout comme le fait le VO2max.
Un modèle inspirant :le fartlek D’un point de vue plus empirique, nous pouvons également nous inspirer de la conception du «fartlek» de Giorgio Rondelli, ancien international Italien de demi-fond en juniors et entraîneur de 30 athlètes nationaux et internationaux dans les années 80 (dont Alberto Cova, champion Olympique sur 10000m ou Francesco Panetta champion du monde de 3000m steeple). `
Au départ le mot «fartlek» provient de Suède et signifie littéralement ''jeu de courses''. Il s'agit en réalité de séances effectuées en nature qui offrent un grand nombre de possibilités parce que ses variables sont multiples comme des temps d’effort libres ou codifiés, et des récupérations adaptées à la fatigue.
C’est sur ce dernier point que l’approche de Giorgio Rondelli nous intéresse car il intègre la récupération comme un paramètre essentiel de développement et donc de progression. Pour cela la récupération après chaque effort doit être soit plus active soit pincée (ou diminuée) tout au long de la séance.
Nous pouvons donc construire des séances d’intensité en running en nous inspirant fortement de ces données, les objectifs principaux étant:
de solliciter des temps de maintien de l’effort plus long en VO2max en jouant sur des allures plus raisonnables en VMA et des récupérations plus actives, en sollicitant progressivement les dérives cardiaques d’effort et de récupération,
en mettant l’accent sur les phases d’accélérations et de décélérations,
enfin en mettant l’accent sur la commande neuromusculaire et la lucidité.
Ce qui est désormais intéressant dans la manière d'aborder des séances d'intensité dans l'entraînement à la course à pied est ce que j’appelle être en phase : les principes qui en fait peuvent nous permettre d’envisager une stratégie de performance différente, non pas orientée que sur le chrono mais sur la fait de mieux s’écouter en course, d'y prendre plaisir et donc d'acquérir une confiance en soi par l'efficience de son pacing de course.
Ce pacing va varier selon les allures à l’entraînement et il est aussi lié à la fatigue musculaire et physiologique. De ce fait et il à une grosse une influence sur le cerveau. C'est ce que l'on décrit par le mental en course, les ressources qu’il faut habituer à mobiliser et les émotions qu’il faut contrôler.
Mise en œuvre : Le Jerk en côte
L’objectif de cette séance est de solliciter le VO2max de manière progressive grâce à un travail en côte courte, sur des allers-retours.
En ce sens elle devient de plus en plus éprouvante car les récupérations doivent être au fur et à mesure «pincées» et donc progressivement accélérées en descente.
Déroulement Les côtes doivent faire une distance d'environ 150m (ou 40 s d'effort) avec un pourcentage de pente compris entre 10% minimum et 15% maximum. Elles doivent être courues rapidement, mais en pensant à gérer la totalité de l’effort (lucidité). Selon le potentiel physique de l’athlète le nombre de répétitions et de récupérations doit être adapté et donc différent. Il peut y avoir une marge de + ou - 5 secondes sur le temps d’effort de la montée.
Faire 9, 12 ou 15 côtes de 40s selon la forme, l'envie ou le niveau
Le premier 1/3 de la séance (donc 3, 4 ou 5 côtes), la récupération en descente est de 50s à 1'
Le deuxième tiers de la séance (de 4 à 6, de 5 à 8, de 6 à 10), la récupération en descente est de 40s à 50s
Le dernier tiers de la séance (de 7 à 9, de 9 à 12, de 11 à 15), la récupération est si possible sous les 40 s (mais cela dépend aussi de la gestion de la séance)
Indicateurs
Vitesse rapide en côte avec une ressenti d'effort RE de 7 à 9 (au «feeling»), avec une montée progressive en fréquence cardiaque
Avantages de la séance
Séance progressive et ludique qui vous permet de travailler aux sensations (allure libre dans la montée)
Contrôle de la lucidité avec la diminution des temps de récupération (effet entonnoir)
Inconvénients de la séance
Difficulté à gérer l’effort en montée dans les premières séances
Registre excentrique dans les descentes, donc plus traumatisant (amis effort court..)
Séance éprouvante sur le final
Matériel
Chaussures de «running» légères, chronomètre avec enregistrements cardiaques
Programmation
Intéressant pour période de reprise, de tapering (conservation du qualitatif avant compétition mais 3/4 jours minimum avant, et stimulation durant les périodes spécifiques ultra).
Références
Véronique Billat, «VO2max à l’épreuve du temps» (Éd. De Boeck, 2013 ).
Christophe Pourcelot, Maxence Vidal, HIIT, entraînement fractionné à haute intensité, Ed. Amphora, 2016.
Jacques-R Poortmans (Auteur), Nathalie Boisseau (Auteur), Jacques Mercier (Préface), Biochimie des activités physiques et sportives Broché (Ed. De Boeck, 2012).
J. Weineck, Biologie du sport, Vigot, Paris, 1992.
Didier Reiss et Pascal Prevost, La bible de la préparation physique,
Ed. Amphora, 2013.
Lactate et exercice : mythes et réalités, Georges Cazorla, Cyril Peti- bois, Laurent Bosquet et Luc Léger, Revue STAPS 2001.
Lactate fuels the human brain during exercise, Quistorff B, Secher, NH, Van Lieshout JJ., 2008
Évolution du jerk : Le "Jerk suicide"
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