Bien qu’il soit encore mal compris, le ressenti d’effort est un principe très interessant à mettre en oeuvre dans notre entraînement de course à pied.
Laisser sentir nos capteurs du corps, pour ensuite les percevoir et prendre des décisions semblent être une voie très naturelle pour vivre mieux notre expérience corporelle au jour le jour.
Même s'il est perçu comme un outil assez fiable d’un dosage de notre allure (avec une échelle de ressenti individuel), il nous parait tout autant nécessaire d’élargir le débat sur un ensemble plus large qui concerne le ressenti intérieur, plus organique, comme un état d’être, une humeur.
En effet, les jours se suivent et ne se ressemblent absolument pas dans notre entraînement quotidien, et les sensations générales de fatigue ne sont pas uniquement liées aux charges de travail (intensité, volume), comme bien souvent un plan d’entraînement le prescrit.
Nous sommes tous des individus uniques, et notre équilibre est complexe. Tous comme nos milliards de bactéries qui nous colonisent, certaines conditions pourraient être ainsi délétères pour notre organisme dont le mécanisme est somme toute fragile.
Nous avons certes le pouvoir de nous adapter si les charges d’entraînement sont progressives et alternées, mais on oublie bien souvent que, au-delà de l’impact physiologique des séances intensives ou des sorties longues, certains perturbateurs peuvent venir altérer notre immunité.
Mode de vie, ou vie modique
Selon le Professeur Karl Perron de l’Université de Genève, nous sommes avant tout des êtres bactériens. En fait nous sommes des organismes vivants composés d’autres organismes vivants. Dans ce sens, nous ne sommes pas uniquement constitués de cellule humaine qui réagirait uniquement à nos ordres.
Notre mode de vie peut donc fortement influencer l’évolution de notre micro organisme et ce concept est en tout point assez fou.
En effet, avec le réchauffement climatique par exemple et le changement du permafrost (1), on pourrait voir resurgir certaines bactéries très anciennes qui pourraient venir agir pourquoi pas sur notre comportement.
À savoir si notre organisme s’y adapterait, ou non ?
Vaste débat...
Lorsque l’on pratique la course à pied en nature, on y contemple ses merveilles, mais on ne se pose pas trop la question des effets de réciprocité. Pourtant, tout comme les plantes ou les animaux nous sommes habités de milliers d’êtres microscopiques qui façonnent nos traits (concept d’holobionte (2)).
Ces êtres microscopiques, comme les bactéries, les microbes, les virus, les parasites jouent donc un rôle dans notre environnement et vivent aussi en nous. Certaines espèces sont néfastes, mais en fait tout dépend du contexte dans lequel on vit.
Le fait par exemple d’être exposé à de fortes chaleurs ou dans des environnements hyper pollués.
Patrick Blanco, chercheur au CHU de Bordeaux (3), émet diverses hypothèses sur l’avenir de certaines maladies auto immunes, et notamment insiste sur le fait que l’on n’éduque plus assez bien notre système immunitaire : « Avec les changements environnementaux, la stérilisation, la pasteurisation, les antibiotiques, l’urbanisme qui font que l’on a maintenant un microbiote (4) moins diversifié. On trouve un dérèglement du microbiote chez les patients qui souffrent de ces maladies-là. On a pu le vérifier avec des animaux. On a vu qu’une certaine écologie microbienne peut amplifier la réponse auto-immune ou protéger contre cette réponse auto-immune. »
Ces facteurs d’adaptation, forcées pour notre organisme, cumulés aux facteurs de stress que nous pouvons lui infliger en effectuant des charges d’entraînement trop volumineuses pour préparer des compétitions, doivent nous faire réfléchir de cet impact sur notre santé.
En effet, même si nous le verrons dans d'autres articles liés à la loi de l'hormèse (5), cette réaction positive de l’organisme soumis à de faibles doses de toxines, de stress ou d’exposition à des contraintes, qui permet de nous rendre "plus fort", il nous faut rester prudent car nous sommes également des êtres fragiles et vulnérables.
Par exemple, le médecin Laurent Gergélé, lui-même spécialiste d’ultra trail, évoquait déjà en 2009 les risques liés au stress oxydant et à l’inflammation suite à une épreuve comme l'UTMB.
Le microbiote: notre 6ème sens ?
La bactérie n’est pas toujours notre ennemie, bien au contraire. Mais le problème vient le plus souvent de la manière de nous alimenter. Cette alimentation, si elle est inadaptée, peut même provoquer de gros dégâts.
On parle ainsi de dysbiose, lorsqu’un déséquilibre de notre microbiote intestinal (6) se produit et qu’une modification de notre état de santé s’opère.
Mais c’est bien une alimentation trop sucrée, trop grasse, (ultra)transformée, glyquée qui est encore très à la mode, même dans certains produits sportifs.
Cette manière de s’alimenter entraîne ainsi une perte de diversité bactérienne et de ce fait agit sur notre système immunitaire en l’atrophiant. Moins de fibres dans nos assiettes et plus d’additifs, affaiblissent ainsi la barrière intestinale en ouvrant la porte aux bactéries envahisseuses.
Une meilleure alimentation pourrait donc fortement influencer notre microbiote intestinal. En effet, il a été montré que des changements alimentaires peuvent représenter jusqu’à 57% de la variation du microbiote intestinal tandis que la part génétique compte seulement pour 12% (Zhang et al., 2010).
Source: Des Bosses et des Bulles
La réflexion peut être même poussée beaucoup plus loin.
En effet, l’intestin et le cerveau sont étroitement connectés. Le système nerveux central est en interaction permanente avec le tube digestif (7). Mais entre le cerveau et l’intestin, un troisième acteur s’est glissé : le microbiote intestinal qui prendrait part également à ce mystérieux dialogue.
Ainsi de plus en plus de travaux suggèrent que le déséquilibre du microbiote est lié à de nombreuses pathologies comme l'asthme, le diabète ou l'obésité. Et ainsi il aurait même un effet sur notre état mental. En effet, notre microbiote intestinal arriverait à communiquer avec notre cerveau en favorisant la libération d'hormones ou en sécrétant des neurotransmetteurs.
J’ai mal au ventre parce que je suis anxieux ou je suis anxieux parce que j’ai mal au ventre ?
La réflexion est encore plus interessante lorsque les recherches suggèrent que le microbiote pourrait avoir une influence sur notre humeur.
Elaine Hsiao de l’Université de Californie (Los Angeles, États-Unis), mène ainsi des recherches sur la sérotonine (l’hormone du bonheur) dans le contexte de l’axe intestin-cerveau, et notamment, la manière dont les activités des molécules et des cellules connectent le microbiote intestinal et le cerveau.
Ses travaux ont révélé que certaines espèces du microbiote intestinal stimulent la production de sérotonine par les cellules endocrines intestinales (8). Il s’agit donc d’une véritable collaboration entre les microbes et les cellules de l’hôte : « Nous avons constaté que cette stimulation provoquait une augmentation de la quantité de sérotonine dans le colon ainsi que de la sérotonine absorbée par les plaquettes sanguines et mise en circulation dans la circulation sanguine. »
Ces études sont certainement les prémices à de belles découvertes et notamment sur les relations de l’axe intestin-cerveau par lesquels le microbiote intestinal pourrait influencer notre cerveau (9).
Dans ce contexte, on pourrait sans doute mieux comprendre pourquoi certains jours une fatigue mentale (lassitude) serait plutôt le fruit d’une alimentation inadaptée (ou dans un contexte inadapté), que celui d’une fatigue liée seulement à nos charges d’entraînement.
Des bactéries mélancoliques ?
Tel que l’exposent le Pr Ted Dinan et ses collègues de l’ Université de Cork (UCC) plusieurs études récentes ont révélé sur des modèles animaux que la dépression et l’anxiété sont liées à une altération de la composition du microbiote intestinal.
Selon ces experts, il n’existe plus aucun doute à propos de l’influence des interconnexions cerveau-intestin sur l’inflammation de l’intestin, les syndromes de douleur abdominale chronique et le dysfonctionnement de l’intestin.
Ainsi comprendre le lien entre les émotions et le microbiote pourrait mener à la mise au point de nouveaux traitements pour de nombreuses pathologies telles que l’obésité (travaux notamment sur la Ghréline), les troubles de l’humeur et les douleurs gastro-intestinales, ce qui, sur ce dernier point intéresse fortement les sports d’endurance extrême.
« Nous comprenons de mieux en mieux la façon dont le microbiote (intestinal) agit sur le cerveau et le comportement » assure le Pr Dinan, qui est convaincu que, grâce aux techniques d’analyse génomique et des neurosciences, les scientifiques seront enfin en mesure d’expliquer pourquoi, si lorsque la connexion entre le cerveau et l’intestin échoue, des troubles émotionnels peuvent apparaitrent.
Attention, il ne s’agit pas de se priver des plaisirs de la table, car pour le moral c’est essentiel. Mais comme l’évoque Denis Riché dans le résumé de son prochain ouvrage : "Parler de microbiote et du cerveau est « le point de départ d'une multitude de réflexions et de travaux, et en particulier, l'accompagnement des hauts-potentiels à s'accomplir au quotidien. »
La suite de ces recherches s’annonce donc passionnante pour tous les passionnés de Running et soucieux de Renaissance.
(1) Le permafrost (ou pergélisol) est un terme géologique qui désigne un sol dont la température se maintient en dessous de 0°C pendant plus de deux ans consécutifs. Il représente 20% de la surface terrestre de la planète. Le permafrost est recouvert par une couche de terre, appelée « zone active », qui dégèle en été et permet ainsi le développement de la végétation.
(2) Du grec holo, tout, et bios, vie), l’holobionte désigne l'unité biologique composée de l'hôte (plante ou animal) et de tous ses microorganismes. L'holobionte cumule les propriétés de l'organisme hébergeur et de ses passagers, dont il assemble tous les génomes.
(3) Patrick Blanco est chef de service d’immunologie du CHU Bordeaux et chef d’équipe au CNRS sur les maladies auto immunes.
(4) Le microbiote intestinal est l’ensemble des micro-organismes présents dans le tube digestif, de la bouche jusqu’à l’anus et en particulier dans le colon. Cette communauté microbienne nombreuse (environ 100 000 milliards de bactéries) est présente dans l’intestin dès la naissance. Elle évolue pour se stabiliser vers l’âge de 2 ou 3 ans. Ces microbes interagissent avec le reste du corps. On connaît aujourd’hui les 600 000 gènes qui composent le microbiote intestinal de chaque individu.
(5) L’organisme se renforce alors progressivement et gagne en robustesse. Les efforts que nos ancêtres ont toujours connu dans leur environnement naturel sont les plus favorables qualitativement. Rien de tel que des mouvements proches de ceux qu’ils effectuaient au quotidien : marcher, courir, nager, grimper, sauter, ramper. Le naturel est la meilleure solution. Cette activité physique améliore l’ensemble des paramètres physiologiques. Elle peut être intense mais les phases de récupération doivent être bien présentes. La modération et la régularité sont importantes, la performance extrême est à proscrire.
(6) Un régime occidental caractérisé par un apport pauvre en fibres et riches en graisses entraîne par contre une dysbiose illustrée par une diminution de Bacteroidetes, des bactéries lactiques (Bacillus bifidus, Enterococcus) couplée à une augmentation de Firmicutes, Proteobacteria, R. torques, E. coli (Hildebrandt et al., 2009; Martinez-Medina et al., 2014; Tomas et al., 2016; Zhang et Yang, 2016).
(7) Cette connexion entre le cerveau et l’intestin est même bidirectionnelle et se fait, avant tout, par les voies nerveuses sympathiques (nerfs splanchniques) et parasympathiques (nerfs vagues) du système nerveux autonome. Ainsi 95% de la sérotonine est produite au niveau de l’intestin et prend part aux échanges entre le cerveau et l’intestin via le nerf vague. La sérotonine est un neurotransmetteur, parfois aussi appelé «hormone de la sérénité» qui régule une vaste gamme de fonctions comme l’humeur ou le comportement. Voir aussi L’axe intestin-cerveau : une interaction permanente (Sources PILEJE).
(8) Il est aussi nécessaire de comprendre les liens forts entre le tryptophane (acide aminé qui diminue ses stocks pour réduire l’inflammation…) et la sérotonine.
À ce jour, la plupart des preuves suggèrent un effet indirect : les microbes intestinaux moduleraient le système immunitaire, il se produirait ainsi une connexion neuro-immunitaire. (9) D’autres moyens mis en avant impliquent des modulations microbiennes de molécules neuroactives qui pénètreraient dans le cerveau même ou des modulations de neurones périphériques qui atteindraient le cerveau.
Références
Giulia Enders, Le Charme discret de l’intestin, Actes Sud en 2014
Joël Doré, l’aventurier du microbiote.
Mathilde Jaglin, Axe intestin-cerveau: effets de la production d’indole par le microbiote intestinal sur le système nerveux central, 2014, (Thèse)
Florie Maillard, Influence des modalités d’exercice sur le microbiote intestinal et la masse grasse abdominale : interrelation intestin/tissu adipeux sur des modèles de pathologies inflammatoires,Thèse de l’école doctorale des Sciences de la Vie, Santé, Agronomie, Environnement Clermont-Ferrand, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02161439/document
Denis Riché, Comment le microbiote gouverne notre cerveau. Le cerveau, un deuxième intestin, Editions De Boeck, Janvier 2021
Gabriel Perlemuter, Stress, hypersensibilité, dépression… : et si la solution venait de nos bactéries, Flammarion, 2020.
Hary Sokol, Laurent Beaugerie, Les fondamentaux de la pathologie digestive, Elsevier-Masson, 2014
Notions utiles autour de la flore intestinale
Dysbiose : déséquilibre de la flore intestinale. La plupart des antibiotiques, une alimentation riche en graisses et en sucres, provoquent une dysbiose.
Probiotiques : bactéries ou levures vivantes qui, consommées régulièrement et en quantité suffisante, améliorent notre santé. Elles ne s’installent pas durablement dans l’intestin, mais influent sur le microbiote intestinal.
Prébiotiques : composés alimentaires que nous ne digérons...
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