Site La santé par la nutrition d'Anthony Berthou
Vous le savez, nous vivons actuellement une période déterminante pour le respect de la biodiversité et la limitation du réchauffement climatique. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire plusieurs articles sur les liens existants entre alimentation, nutrition et environnement. A titre personnel, c’est lorsque j’ai commencé à enseigner la thématique des enjeux mondiaux de l’alimentation 2050 à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne en 2014 que je me suis véritablement intéressé à ce sujet, si passionnant mais tellement complexe, systémique et interdépendant.
Toutefois, la situation s’accélère ces dernières années et les données de littérature scientifique sont de plus en plus précises, bien qu’alarmantes (c’est un moindre mot). Je travaille donc actuellement sur une analyse en profondeur des données disponibles, certainement plus que je ne l’ai jamais fait sur aucun sujet, car il s’agit selon moi de l’enjeu déterminant pour les années à venir. J’aurai l’occasion de vous présenter le fruit de mes analyses prochainement, mais je souhaite d’ors-et-déjà vous partager ici une forme de conclusion générale, voire généraliste, au regard de l’actualité nutritionnelle et de la cacophonie médiatique sur le sujet. J’espère que ce partage de réflexion vous apportera un regard complémentaire à celui que vous pouvez souvent entendre et vous propose de devenir vous aussi, un Colibri de la Nutrition Positive.
Au regard de l’ensemble des études évoquées depuis le début sur les effets de l’agriculture, il en ressort un point commun : la disparité des résultats. Certains s’appuient sur la part importante de l’élevage dans les émissions de GES pour prôner une alimentation totalement végétale. Même si les conditions de vie des animaux issus d’élevage intensif sont inacceptables, même si la façon de les élever et de les nourrir accroît les effets négatifs sur la qualité nutritionnelle de la viande ou du lait, augmente les risques d’antibio-résistance, émet de plus grandes quantités de méthane, altère la biodiversité, la qualité des sols et leur acidification, il n’en reste pas moins que l’élevage a toute sa place dans l’agriculture. Au-delà de son impact socio-économique sur les agriculteurs de toute la planète, consommer une viande de qualité peut tout à fait s’intégrer dans un modèle alimentaire équilibré, voire améliorer le statut nutritionnel des hommes, à l’image de l’augmentation des teneurs en oméga 3 par l’apport de lin ou de colza dans l’alimentation animale. Un élevage extensif, fondé sur une alimentation de qualité et des conditions de vie dignes pour l’animal, exerce un effet positif sur l’environnement, y compris sur la fertilisation des sols. C’est ce mode d’élevage que nous avons tout intérêt à intégrer dans le cycle de vie alimentaire, que nous devons promouvoir en soutenant les agriculteurs locaux agissant en ce sens et en adoptant une posture franche, celle de refuser une industrie agro- alimentaire et une grande distribution motivées par le profit économique à outrance. Il appartient à chacun de considérer si la consommation de produits animaux est inacceptable pour des raisons éthiques ou, au contraire, source de plaisir et de convivialité. A chacun de placer son propre curseur là où lui semble le plus en équilibre.
Il en est de même concernant la culture. On a pu constater à quel point la question peut apparaitre complexe de prime abord. L’intérêt d’une alimentation d’origine biologique est évident, qu’il s’agisse de culture ou d’élevage. Le maintien d’une rotation de cultures respectueuses de la terre, la diminution voire la suppression de l’usage des pesticides et des fongicides, des engrais chimiques responsables d’eutrophisation et d’érosion des sols, de la déforestation destinée à libérer des terres pour produire notamment du soja OGM, méritent d’être soutenus par nos achats alimentaires. Il en va de notre santé humaine certes, mais aussi (et surtout) de celles des autres êtres vivants et de la planète. Pour autant, cette solution n’est pas suffisante pour répondre seule aux enjeux environnementaux. Sans autre évolution agricole, une alimentation 100% biologique confronte en effet la planète à des questions relatives aux baisses de rendement, à la modification de l’occupation des sols, à des contraintes de gestion des adventices majeures, en particulier concernant les cultures céréalières. Par ailleurs, choisir de consommer des aliments d’origine biologique sans la conscience de devoir limiter le plus possible ce choix à des produits d’origine locale et issus de filières courtes, sans refuser l’agriculture biologique industrielle, est un non sens, une absurdité. L’évolution du mode de culture doit être associée à une forte diminution de la consommation de viande et du gaspillage, mais aussi et surtout à une reforme générale et massive du modèle agricole. L’agroécologie et la permaculture représentent en ce sens des leviers majeurs, incroyablement puissants pour concilier les enjeux nutritionnels et environnementaux. Ils représentent un espoir sur lequel nous devons nous appuyer, tout de suite. L’analyse de la littérature scientifique révèle pourtant que peu d’études sont actuellement disponibles sur le sujet. Fort heureusement, des individus n’ont pas attendu de prouver par l’empirisme que ce modèle agricole, voire social, est vertueux, à l’image de Perrine et Charles Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin. Comme beaucoup d’autres, ils ont compris, agi et démontré que l’approche systémique est LA solution.
Après avoir analysé et exploré chaque recoin des facteurs alimentaires pouvant agir sur l’environnement et sur la santé, de la manière analytique la plus objective possible, j’en arrive toujours au même résultat : le bon sens. Celui que la nature a su établir, qu’elle orchestre de manière extraordinaire et qu’elle utilise pour respecter le principe fondamental de vie, d’équilibre. Que nous parlions d’homéostasie à l’échelle d’une seule de nos dix mille milliards de cellules, voire du microbiote intestinal, du sol ou d’écosystème planétaire, notre objectif archaïque restera toujours de stimuler notre évolution par des micro-désadaptations, mais contrôlées et respectueuses de la nature. La notion d’interdépendance est essentielle. Aucune de nos cellules ne peut garantir seule le maintien de notre santé, elle a besoin de la spécificité de toutes les autres. Il en est de même pour l’agriculture. Nous ne pouvons concevoir un système alimentaire résilient et durable sans lui permettre d’interagir positivement avec son environnement.
Un tel constat amène donc à une réflexion que nous devons avoir à titre collectif certes, mais qui nous appartient en tant qu’individu, en tant que colibri. La question du libre choix alimentaire est totalement légitime lorsqu’elle nous concerne à titre personnel, d’autant plus que l’acte de manger revêt une dimension sociale et émotionnelle sans comparaison.
Oui, il est possible de conserver un statut nutritionnel adapté en étant végétalien ou consommateur de viande. Ce choix nécessitera toutefois des ajustements d’autant plus exigeants qu’il se sera porté sur l’un ou l’autre des extrêmes. Il nous appartient simplement d’accepter que plus nous nous éloignons de l’homéostasie, plus les adaptations devront être importantes. La question du choix alimentaire apparait néanmoins plus complexe quand il concerne le corps scientifique en charge d’établir des recommandations nutritionnelles. Dès lors qu’ils sont associés à une recherche de profit dissimulé, bien souvent sous l’impulsion de puissants lobbys, à une finalité politique ou simplement portés par une conviction respectable mais suffisamment puissante pour orienter les résultats d’études sans considérer toutes les données objectives, ces choix peuvent devenir dangereux. Dangereux car ils impulsent un système de croyances envers la plupart des personnes ne disposant pas d’un accès à une information exhaustive et critique. Rien n’est plus facile que d’orienter des résultats dans le monde de la nutrition. Or, ce système, au-delà d’entretenir une cacophonie nutritionnelle et d’orienter les comportements d’achat, est la lie de la désinformation, voire du dogmatisme et de la perte de discernement, car il nous éloigne de l’homéostasie. De notre principe de vie. La maitrise totale de l’alimentation dans le cadre d’une étude clinique, suffisamment longue, exhaustive et massive, est aujourd’hui impossible. Du moins, elle est suffisamment difficile pour ne pas être démocratisée. Gardons à l’esprit ce préalable pour rester humble face aux connaissances actuelles.
Références de l'auteur
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