L’analyse est certainement multiple et liée à la grande incertitude de ces épreuves mais aussi à leur évolution qu’on pourrait nommer "mediatico-dépendante". En effet le syndrome de l’albatros rôde désormais dans les têtes de ces coureurs et coureuses élites. Ils se font très mal, en s’affligeant bien souvent des charges énormes et à la limite du raisonnable (ce dépassement de soi n’est par ailleurs pas l’apanage des sportif élites car il existe aussi un dépassement de soi du sportif anonyme, confronté dans l’effort à ses limites). Pourtant ils retournent de plus en plus dans ces compétitions extrêmes, "dépourvus de frayeur, et dans cette zone où ils ont bien souvent touché l’invisible, alors même qu'ils savent que la répétition d'efforts à ce niveau est dévastatrice" (Yonnet).
Les records sur les segments Strava sont aussi la preuve de cette boulimie d’effort, pour se rassurer ou asseoir une certaine suprématie. Comme le suggérait Sénèque à Lucilius, le temps est aussi un bien précieux. Le temps que l’on peut notamment donner à sa famille, et à d’autres projets de vie.
Cet état d’existence est pourtant nécessaire à nos athlètes élites, car nous voulons aussi des champions qui puissent nous procurer de l’émotion, à Chamonix comme au stade de La Redoute. Ce sont, pour certains, des athlètes "presque professionnels" véhiculant l’image parfois d’un Team, parfois d’une ou plusieurs marques, voire même d’une nation.
Pratique addictive et syndrome d’Adonis
Cependant n’as t-on pas oublié un véritable plan de carrière et surtout leur santé mentale. En effet la dépendance voir l’addiction à la pratique est bien réelle et il est nécessaire de s’en préoccuper. Ainsi ces addictions que l’on nomme positives sont souvent valorisées et l’on peut rencontrer une véritable souffrance physique et psychique parmi ces "addictés positifs" et selon le docteur Dan Véléa : "chez les sportifs de haut niveau ou les amateurs pratiquant de manière intensive les exercices physiques, la pratique excessive met en évidence une conduite addictive liée à des troubles dysmorphophobiques, qui se manifestent dans le cadre d’un véritable syndrome d’Adonis, avec tout le cortège des signes de manque et de souffrance psychique".
Tout un programme…
Des solutions ? On a parfois critiqué certains staffs en dénonçant une certaine paternité abusive, mais il est somme toute important de pouvoir projeter et accompagner l’athlète élite dans un véritable projet de performance axé sur le développement de la personne.
Oui vous avez bien entendu, c’est une vraie aide au développement de la personne et de sa personnalité afin qu’il puisse se sentir bien et équilibré.
L'indispensable réserve émotionnelle
Chaque athlète est différent, et le processus d’autonomie parfois très long à mettre en œuvre. La réussite passe donc dans la confiance en son projet et la détermination qu’il va y mettre pour réussir.
Bref, pour être performant sur une course comme le Grand Raid ou l'UTMB, l’équation est complexe mais finalement logique :
Il est nécessaire d’avoir conscience de l’ampleur de l’objectif et donc d’arriver avec un minimum de fraîcheur mentale. En effet ce n’est pas la fatigue physique qui importe le plus mais bien la charge mentale et donc la réserve émotionnelle que l’on pourra soutenir sur la deuxième partie de course. L’entraînement en course à pied n’est pas qu’un agrégat d’effets physiologiques. Le cerveau tient une part importante dans la performance finale, et la planification de l’entraînement doit donc être envisagée comme une "éducation mentale". De la même manière que l’entraînement est planifié afin d’améliorer la résistance à un stress physiologique plus important, il doit l’être également afin qu’une charge affective plus importante puisse être acceptée par le sportif. Les mêmes grands principes généraux de progressivité, de régularité et d’alternance de charge utilisés afin d’améliorer les réponses physiologiques, peuvent être préconisés pour augmenter la tolérance à une charge affective importante et ainsi espérer une performance optimale (recherches menées notamment avec les laboratoires de recherche de l’Université de Besançon et de La Réunion).
La planification est le fait d’arriver en forme le jour J. Logique non ? Mais cette planification est aussi une véritable préparation mentale, celle qui permet de se motiver chaque jour, sans abuser des compétitions et de se donner aussi des plages de régénération (que j’évite de nommer récupération car il ne fait appel qu’au versant physiologique). Le corps humain s’adapte merveilleusement bien, ce qui veut dire que si l’on répète sans cesse le même entraînement dans le temps il se produira de moins en moins d’effets sur l’organisme. Il est donc nécessaire, si vous voulez progresser et moins vous blesser, de vous entraîner plus, plus souvent. Cependant bien que nous soyons capable d’encaisser de gros volumes, il faut du temps et des cycles de régénération en alternance pour progresser.
S’entourer des bonnes personnes pour ce projet, des personnes souvent dans l’ombre mais qui contribuent à rassurer et accompagner l’athlète dans les bons comme les pires moments.
Choisir entre gagner une très grande classique comme le Grand Raid ou s’aligner plus modestement au fil du temps sur un calendrier de compétitions plus que chargé (érosion de la motivation).
Rester passionné et s’intéresser à toutes les recherches sur le sujet et dans tous les domaines (approche globale que l’on dit holistique).
Enfin cela doit demeurer un véritable mode de vie, sans doute plus subtil sur la capacité à vivre caché, sans toutefois vivre en ermite, mais sortir du bois au bon moment. Car les traileurs sont unanimes : "on vous aime les athlètes élites". On souhaite surtout qu'ils puissent exploiter au maximum leur potentiel pour conserver le "fighting spirit" qui nous fait vibrer.
Pays émergents et souffle de fraîcheur Des courses comme le Grand Raid, semée d’embûches et de rebondissements, c’est aussi ce qui fait la magie de l’ultra trail car, dans l’extrême, c’est l’individu lui même qui devient le théâtre premier d’exploration. Mais attention à la pression médiatique et à la fatigue de la rock star ayant livré bataille sur une multitude de concerts, pour plaire au public, pour honorer ses agent et qui peut finir en déprime…
Il faudrait désormais déclencher un peu votre envie, celle d’avoir encore plus plus faim, à l’image de la résilience d’un Xavier Thévenard se fixant le challenge, sur l'UTMB, de "remettre l’église au centre du village (sic)".
On peut, au fil des ans, constater l'émergence de nouvelles nations, comme le Japon sur le Grand Raid en 2017 ou la Chine sur l'UTMB en 2018. On peut s’en réjouir car ces athlètes amènent une fraîcheur et mettent en avant une vraie valeur de ce sport : avoir faim de victoire et reconnaître la vraie valeur, celle de l’effort pensé et bien construit.
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