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Photo du rédacteurEric Lacroix

Temps et Décélération ⎮Volet 1

Dernière mise à jour : 15 nov. 2020



L’exemple de l’ultra trail …


Nous sommes dans une période de confinement, et l’on pourrait dire que cette période nous permet de décélérer le temps. C’est une aubaine pour beaucoup d’entre-nous pour s’occuper davantage de soi et de ses proches, pour méditer et réfléchir sur nos pratiques.


La période que nous vivons est critique et la course à pied est très secondaire, elle nous permet juste de nous entretenir.


Cependant beaucoup de coureurs de trails et de courses d’endurance se sentent quelques peu frustrés que des épreuves soient annulées, de ne pas pouvoir pratiquer des heures dans la montage à s’évader.

Comme si dans le temps il projetaient de ne plus pouvoir décélérer, vaste paradoxe dans une période confinée !


Mais en effet, comprenons que grâce à cette pratique, beaucoup de coureurs s’accaparent cet « espace de décélaration ». Explications …


Dans un article du Monde datant de 2010, Laurent Jeanpierre (La fuite en avant de la modernité),nous dévoilait le concept de décélération, en évoquant les travaux du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa (ayant réalisé une étude magistrale sur la société de « l’accélération ») :


« L’époque n'est pas si lointaine où certains espéraient que l'évolution technique permette d'alléger le travail et de libérer du temps libre (…)

Les technologies "compressent l'espace". Elles peuvent aussi accroître le rythme de la production matérielle ou le nombre et la fréquence des relations sociales, ainsi que le montrent les outils de communication actuels. Mais comme, en fait, elles prennent souvent plus de temps qu'elles n'en font gagner, les techniques entraînent aussi une "accélération du rythme de vie" dont les fast-foods, le speed dating, le haut débit de l'Internet, l'habitude nouvelle de faire plusieurs choses à la fois sont quelques-uns des symptômes actuels »


Face à cette frénésie croissante, il existe des "stratégies de décélération" comme vivre hors des grands centres, ou faire l'éloge de la lenteur ou de la décroissance.


"Exclues des sphères sociales déterminantes", ce sont cependant, selon Hartmut Rosa, des résistances insuffisantes pour renverser l'emballement de la machine moderne. Nul n'échappe réellement aux effets de l'accélération. Ceux-ci touchent à la fois la vie personnelle et la vie sociale.


A l'échelle individuelle, d'abord, le stress, l'hyperactivité ou, au contraire, la dépression sont ses pathologies, chacune plus fréquente aujourd'hui. Les identités deviennent tissées d'expériences juxtaposées : chaque engagement, amical, amoureux, politique ou religieux finit par prendre la forme d'un "projet" sans projection.


En 2015, dans la revue STAPS, Romain Rochedy reprend ce concept en parlant de la pratique de l’ultra trail (ici). Selon lui cette pratique pourrait être une chimère de la société de l’urgence, voir une idéologie pour certains adeptes :


« L’ultra-trail est « un aspect de ma personnalité », « c’est un mode de vie » (Émilie). L’aventure, l’extrême, le temps de prendre son temps deviennent des éléments caractérisant un lifespirit. Nous entendons, par ce terme, l’expression d’un esprit de l’ultra qui déborde largement le temps et l’espace de la pratique elle-même. Chaque temps, de loisir, familial/amical, professionnel est entièrement dédié à la réalisation de ce lifespirit ».


L’ultra-trail peut être qualifié d’« oasis de décélération » comme description même de ce qu’il est structurellement, car il illustre la limite anthropologique de la vitesse.


En effet lorsque l’on est dans les sentiers à s’entraîner n’arrête t-on pas le temps social un instant, pour de l’évasion pour soi ?


On agrandit les distances, le temps finalement pour allonger du temps.


Mais dans cette période confinée cette évasion n’est plus possible. Le coureur se sent de nouveau face à lui-même.


Mais n’est-ce pas aussi une période idéale pour travailler sur des aspects complémentaires, comme le détachement, la respiration, la posture ?


Sources : Accélération. Une critique sociale du temps (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne) d'Hartmut Rosa. Traduit de l'allemand par Didier Renault, La Découverte, "Théorie critique", 476 p.


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